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Histoires des Chaprais
28 février 2022

La grande grève des Lip, en 1906, rue des Chalets (1er article)

Le Collectif Histoire des Chaprais à l’ASEP a organisé deux conférences sur Lip de 1867 à 1962. Car durant 35 ans le comptoir Lipmann était installé au 14 Grande Rue (passages Pasteur actuels) dans l’ancien Hôtel de l’Intendance.

lip affiche conf 001 (2)

lip conférence 1er février 001 (2)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Puis, en 1902, une usine moderne est construite à la Mouillère, rue des Chalets. Et la marque LIP adoptée en 1908 restera à cette adresse avant de déménager, en 1962, à Palente dans une usine encore plus moderne et 10 fois plus grande que la précédente…

Lip pub 1903

 

PublicitéFrance Horlogère 1903

A cette occasion, l’historien bisontin bien connu, M. Joseph Pinard, nous a fait parvenir un article qu’il avait rédigé en avril 2010 pour le Bulletin des Amis de la Maison du Peuple et de la Mémoire ouvrière de Besançon. Dans la rubrique « Luttes de jadis… » Joseph Pinard évoque la grande grève de 1906 des ouvriers des Lipmann Frères qui a duré 36 jours ! Avant que ces ouvriers n’obtiennent, en grande partie, satisfaction.

Aussi sommes-nous allés à la recherche de documents historiques attestant cette grève dont Le Petit Comtois de l’époque fit assez peu de cas…

Tout d’abord, examinons quand, comment et pourquoi cette grève éclate ?

Après le refus des Frères Lipmann d’accorder un tarif minimum à leurs salariés que deux fabriques bisontines (Utinam et Kummer) viennent d’accepter, les ouvriers réunis (300 horlogers) le jeudi 30 août 1906 à la salle du Palais Granvelle votent, à bulletin secret, la suspension de leur travail pour le lendemain vendredi 31 août. Il convient de rappeler qu’à cette époque, on travaillait le vendredi et le samedi. L’horaire de la semaine de travail à la Fabrique Lipmann est alors  de 57h30 !

Et la grève est effective dès le lendemain. On ne sait si elle concerne l’ensemble des salariés, mais elle va s’installer dans la durée, puisqu’elle ne se termine que….le mardi 6 octobre1906. Et nous examinerons plus loin comment !

Cette grève va se dérouler calmement semble-t-il. Le Petit Comtois du vendredi 5 septembre 1906 (alors qu’il s’était refusé à insérer toute communication concernant cette grève) publie dans la rubrique Faits Divers cette note….

Lip greve 1906 Petit Comtois 5 10 1906

Le syndicat des ouvriers horlogers proteste aussitôt et dès le lendemain, Le Petit Comtois insère la protestation du syndicat sans aucun autre commentaire.

Lip greve 1906 Petit Comtois 6 10 1906

Les Frères Lipmann essaieront de faire part de leur point de vue sur ce tarif minimum imposé, les salaires versés dans leur fabrique, arguments repris un à un par le syndicat des horlogers analysés et exposés dans le journal « Le Socialiste Comtois ».

Lip grève 1906 Petit Comtois lundi 3 septembre 1

Lip greve 1906 Petit Comtois lundi 3 septembre 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ils feront également deux tentatives afin de briser cette grève :

- la première concerne un avis licenciant les grévistes et les enjoignant de venir chercher leurs outils personnels dans les ateliers (en effet les ouvriers doivent acheter leurs outils pour pouvoir travailler)…

- la seconde, c’est le recrutement de « jaunes » pour remplacer les grévistes. Et c’est à ce sujet que M. Joseph Pinard a rédigé son article. Nous le citons (avec sa permission…), lui-même reprenant un article paru, à ce sujet dans Le Socialiste Comtois.

socialiste comtois 1906

« Quelques ouvriers (pas des frères ceux là !), sans vergogne, sans pudeur, et qui mériteraient plutôt la schlague que du pain, ont cru bon de prendre la place des grévistes.

À l’arrivée de chaque Sarrazin, une bordée de coups de sifflet se fait entendre et, juste retour des choses d’ici-bas, ces sifflets stridents teintant aux oreilles des lèches bottes de Messieurs Lipmann était les mêmes que ceux-ci avaient achetés au moment de l’Affaire Dreyfus afin de les distribuer aux ouvriers pour manifester contre les hordes nationalistes. Sûrement Messieurs Lipmann ne supposait pas que leurs propres armes sur retourneraient contre eux.

Pour protester contre ces manœuvres, la commission de grève avait décidé que les grévistes iraient manifester, pacifiquement, à l’entrée des renégats à l’usine.

Aussi mercredi à deux heures tous les grévistes ainsi que bon nombre de membres du syndicat, se trouvaient réunis près de l’usine.

Pendant la manifestation voici qu’arrive le patron conduisant son automobile, silence complet, pas un coup de sifflet. Ce qui en aura sûrement bouché un coin audit patron.

Tous les bons apôtres de l’usine ayant réintégré leur banc de honte, les grévistes rentrèrent en ville en chantant l’Internationale.

Pendant tout le temps de la manifestation, le commissaire de police des Chaprais, avec quelques agents et gendarmes contemplaient passivement cette manifestation. Au moment où les grévistes se retiraient, M. Camille Lipmann s’avançant près du commissaire de police, l’invective d’importance, lui reprochant de ne point avoir lancé sa meute policière contre ces brigands d’ouvriers qui osaient venir le braver lui, patron, jusqu’au seuil de sa porte. Nous n’avons pas entendu la réponse du commissaire de police, mais aux gestes qu’il faisait, à l’animation de ses mouvements, nous avons deviné qu’il envoyait à la balançoire ce maître fougueux, politicien radical et… socialiste quand il ne s’agit pas de ses intérêts personnels mais devenant réactionnaire enragé pour défendre la caisse. »

Pour bien comprendre cette histoire de sifflets, poursuit Joseph Pinard, il faut remonter au 9 février 1900. Ce jour-là, les antidreyfusards avaient programmé un meeting au Kursaal. Les syndicats, la Gauche socialiste et radicale s’organisent pour saboter la réunion. Les opposants chantent la Carmagnole. Le journal de droite La Franche-Comté écrit :

« 400 énergumènes sifflent avec rage dans les sifflets que leur a donnés le juif Lipmann… bientôt les chaises volent de tous côtés ».

La Franche Comté

 

La bagarre est-elle que le commissaire de police dissout la réunion. Le lendemain, Le Petit Comtois titre triomphalement : « Effondrement des nationalistes », tandis que les socialistes adressent « leurs plus sincères compliments à tout Besançon républicain pour l’œuvre de salubrité anti nationaliste qu’il a accomplie ».

conférence patriotique Petit Comtois 11 février 1900Le Petit Comtois 11 février 1900

La Franche-Comté dénonce de son côté, les « braillards à la solde des juifs ». Cet épisode donne l’occasion de réfléchir sur la complexité de notre histoire sociale : il est arrivé que les ouvriers et une fraction du patronat républicain se retrouvent côte à côte pour faire barrage aux réactionnaires qui espéraient bien exploiter l’Affaire Dreyfus pour abattre la République. À d’autres moments, les clivages sociaux l’emportaient et la classe ouvrière s’opposait au patronat. Dans un tel contexte, les mêmes sifflets pouvaient servir à des fins très différentes ».

 Joseph Pinard, agrégé d’Histoire, ancien député du Doubs

Cette longue grève de 1906 révèle d’autres renseignements et surprises que nous évoquerons dans un prochain article.

JCG

 

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Commentaires
Histoires des Chaprais
  • Les Chaprais intégrés à la cité, ne sont pas un village mais un quartier de Besançon (les élus parleront de banlieue jusqu'à la fin du XIX° ...). Nous vous raconterons l'Histoire des Chaprais, de la petite comme de la grande et évoquerons son patrimoine
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